La recherche d’une illustration pour la couverture du livre La vie nue, qui soit belle, chargée de sens et susceptible d’entraîner le lecteur dans l’univers de l’auteur, Gianluca Virgilio, crée l’occasion d’une nouvelle rencontre avec l’œuvre de Serge Boularot.
En effet, le choix de la sculpture Alter ego pour la couverture du livre Résonances Salentines, paru il y a quatre ans s’était déjà imposé comme une évidence. Je ne reviens pas sur le contenu du recueil, ni sur les circonstances de sa parution expliquées dans l’introduction du livre. Je dirai seulement que lorsque Walter et moi avions proposé à Gianluca de regarder les photos des dernières créations de Serge, représentations de corps ou morceaux de corps sculptés dans une terre durcie, noircie par la cuisson raku, l’écrivain avait d’emblée ressenti cette sorte d’affinité rare entre sa propre voix et celle d’un artiste pourtant très éloigné de lui par la géographie et par le moyen d’expression. La grande image d’homme debout fièrement dressé sur son socle à la géométrie froide et rigoureuse, comme sur une marche d’appui pour affronter le monde, lui résister, le dominer peut-être, ne rien lui céder, mais si fragile dans son émouvante nudité mutilée, invite à une profonde méditation sur le temps et la mémoire, dans l’intimité de la confidence. Elle enrichit notre perception de la statuaire gréco-romaine telle que les fouilles archéologiques nous l’ont transmise, figures humaines en morceaux, sans bras, sans visage et dont chaque vestige isolé, rendu à son unité essentielle, peuple d’autant plus intensément notre monde intérieur. Le Temps, ce grand Sculpteur, écrivait Marguerite Yourcenar, il est là à l’œuvre dans l’imaginaire de l’artiste qui parvient à nous le faire éprouver. Le contraste entre la matière lisse, solide, intacte, comme incorruptible qui compose la partie inférieure du corps et semble avoir traversé les siècles sans dommage, ou être prête à le faire encore, rend d’autant plus touchant le torse à la surface rongée, tourmentée, la peau écorchée, jusqu’à la blessure rouge qui creuse la poitrine, mon cœur mis à nu tel que le voulait Baudelaire abîmé dans la création poétique à la recherche de ses ténèbres intérieures, là où bat la vie, désirée, toujours mystérieuse même sous la carapace rompue.
Aujourd’hui, une autre matière a pris la place de la terre opaque dans les fours à haute température de Serge Boularot. Avec de nouvelles cuissons, l’artiste poursuit sa recherche dans la fusion du verre et du cristal et ce qu’il donne à voir c’est une nouvelle présence, pure transparence que le regard traverse avec stupéfaction sans en épuiser la profondeur. Et voilà que je retrouve, au-delà de la matière à laquelle se confrontent l’écrivain salentin et l’artiste lillois, l’un avec ses mots l’autre avec le verre, la même sorte de correspondances qu’il y a quatre ans entre les deux créateurs, comme s’ils avaient au cours du temps, cheminé parallèlement. Qui a eu la chance de parcourir l’un des espaces dédiés aux récentes expositions des pièces de verre de Serge n’a pu échapper à l’attirance qu’elles exercent sur le regard, forçant chacun à scruter leur troublante profondeur, contourner au gré des reflets leur volume mouvant, puis prendre à nouveau le recul nécessaire pour retrouver l’apaisante harmonie de l’ensemble. Ce n’est pas tant la technique qui interroge, encore que la mystérieuse alchimie accomplie par la puissance du feu compte sans aucun doute dans la perception immédiate de la pureté des blocs de verre. La régularité des formes, l’espace intérieur qu’elles délimitent, à la fois légèreté de l’air, fluidité de l’eau, éclat de la lumière souligné par la brillance de quelques fibrilles ou le scintillement de poussière en suspension, subtil révélateur d’un monde végétal dont la vie se fige dans une totale intemporalité, tout cela laisse entrevoir l’image poétique d’un absolu enfin libéré de l’utile, du décoratif, de l’anecdotique. Au moment du choix, même réduites aux deux dimensions de laphotographie, l’austérité de Recomposition, sa perfection formelle, la rigueur de l’orthogonalité alliée à la merveilleuse et complexe phyllotaxie du chou romanesco se sont naturellement imposées pour illustrer La vie nue, troisième livre en français de Gianluca Virgilio.
Dans l’œuvre de Serge Boularot, le passage de l’opacité de la céramique à la transparence de la pâte de verre, ne constitue pas une rupture mais une continuité. C’est toujours la même tension vers l’essentiel indéfinissable, insaisissable. Le feu agit sur la matière comme une purification que l’artiste cherche à mener jusqu’au point ultime pour n’en retenir que l’esprit. Hier les formes noires de la sculpture raku semblaient avoir absorbé les riches couleurs que l’artiste fait magnifiquement vibrer dans son œuvre peint, aujourd’hui la transparence lumineuse de la pâte de verre les accueille toutes. Pour Serge Boularot c’est toujours vers plus de simplicité qu’il faut tendre, plus d’authenticité et de dénuement, dans une quête d’idéal de pure beauté de la forme, la seule vérité, reflet particulier de « la vie nue ».
Couvertures des deux publications
Le vide et le plein
Dans les œuvres de serge Boularot, le vide et le plein se confrontent, s’affrontent, se questionnent. Les cages thoraciques s’ouvrent vers le ciel, espérant quelque chose, assises sur des bassins et des jambes solides et en correspondance avec la terre. Les cœurs carrés ou ronds interrogent en s’offrant à notre regard. Les bases des sculptures sont sûres d’elles même, inébranlables et portent au dessus d’elles le doute, l’hésitation, l’esquive, l’ouverture vers de multiples questions.
La peau céramique granuleuse, lisse ou sinueuse, garde des secrets obscurs pénétrés de traces et d’empreintes de vie. La couleur fait appel aux nuits tourmentées, à l’absence de lumière. C’est dans la nuit que les rêves sont révélés, que les rêves naissent. L’obscurité du Raku témoigne du passage du feu et de la carbonisation, la trace de la force et de la chaleur.
Pour la Biennale de Céramique Contemporaine de Bruxelles
L’éclat des ténèbres
Quand j’ai rencontré son œuvre, il y a plus de vingt ans, Serge Boularot peignait volontiers des oiseaux, puis il a peint des sols, comme s’il lui avait fallu passer d’un pôle ou d’un élément à l’autre, et sans doute n’est-ce pas un hasard si le mythe d’Icare l’a inspiré : ce sont des corps qui maintenant le fascinent, qu’il ne se lasse pas d’interroger.
Je résume une évolution qui a sa logique propre, Serge Boularot sait bien qu’il faut lui obéir à la fois fidèlement et en toute conscience : une œuvre, une passion sans cesse de découvrir et de s’ouvrir. En fait, après 2000, après son séjour à Rome, Serge Boularot n’a pas vraiment changé, il a donné libre cours au mouvement qui dès l’origine l’animait, le besoin d’un trait qui ne cerne jamais, qui ne sépare pas l’intérieur de l’extérieur d’une forme, qui fait tressaillir les couleurs, celui de même de repousser les limites d’une toile et surtout celui de multiplier les approches en ayant recours à des techniques nouvelles, en particulier ces dernières années la sculpture ou plutôt la céramique.
L’emploi de la céramique a lui aussi exigé un développement de moins en moins timide : les figurines du début sont devenues torses et personnages. Des corps, seulement des corps nus, ce qui dans les peintures était déjà évident l’est davantage à présent. À une exception près, ils n’ont pas de tête : Serge Boularot ne veut se rendre qu’à l’essentiel, et l’essentiel, ce sont ces épaules ou ces poitrines qui se dégagent à peine de la terre et de la mémoire, une terre sombre, une mémoire tragique. L’anonymat qui est le leur nous rappelle à notre destinée d’êtres mortels, souffrants. Il ne subsiste des épreuves qu’ils ont endurées que des lambeaux : la peau est arrachée, voici que la chair est montrée, dans sa profondeur, dans sa nuit. Pourtant ces « corps révélés », comme les nomme Serge Boularot, ne restent pas figés : ce qui les a lacérés, pénétrés, troués, continue d’agir, mais ils résistent, ils témoignent d’une vivacité d’autant plus tenace qu’elle est d’une fragilité extrême.
Les gestes du céramiste sont différents de ceux du peintre, plus patients, précaires, toujours prêts à se rompre sans retour en arrière possible. C’est pour cela que Serge Boularot les aime. Tantôt il utilise l’oxyde de fer, tantôt l’oxyde de cuivre qui procurent au grès ces nuances de rouille ou de basalte, et il n’est pas indifférent de savoir que les terres sont cuites à de très hautes températures. Dans ces choix, dans une telle pratique, toute une symbolique se révèle, en accord avec la démarche même de l’artiste, qu’il s’agisse de sculpture ou de peinture, comprendre les grandes forces qui pourraient nous détruire, saisir de justesse ce qui soudain les suspend, l’éclat des ténèbres, l’esprit de la matière.
Pierre Dhainaut 2008
Les œuvres de Serge Boularot vous attendent et vous accueillent
Le corps humain est fait de vide et de plein, de rugosité et de peau lissée.
Confrontations de corps, de mouvement et d’immobilité. Mouvement du corps de l’artiste et suspension de l’œuvre.
Le corps dansant traverse l’espace, la statue occupe l’espace.
La danse colle au temps de la musique, la sculpture nous donne du temps pour regarder.
Dans les oeuvres de Serge Boularot, le vide et le plein se confrontent, s’affrontent, se questionnent.
Les cages thoraciques s’ouvrent vers le ciel, espérant quelque chose, assises sur des bassins et des jambes solides et en correspondance avec la terre. Les coeurs carrés ou ronds interrogent en s’offrant à notre regard. Les bases des sculptures sont sûres d’elles-mêmes, inébranlables et portent au dessus d’elles le doute, l’hésitation, l’esquive, l’ouverture vers de multiples questions.
Pour moi, point de douleur dans cette cavité du cœur et de l’organe du souffle, à s’ouvrir comme cela au monde, parce que le corps du danseur est voué à s’ouvrir aux spectateurs, c’est-à-dire à s’offrir à nos yeux. Les sculptures et les dessins offrent, comme le danseur son imaginaire, sa force et sa faiblesse, tout ce qui fait que le corps sera oublié pour ne laisser que la trace du mouvement.
Ainsi ces sculptures pourraient offrir leurs organes vitaux en gage de bon augure, mais aussi leurs secrets, leur amour à un ciel prometteur, aux regards attentifs ou étonnés.
La peau céramique granuleuse, lisse ou sinueuse, garde des secrets. Obscure, pénétrée de traces et d’empreintes de vie.
La couleur fait appel aux nuits tourmentées, à l’absence de lumière. C’est dans la nuit que les secrets sont révélés, que les rêves naissent. L’obscurité du Raku, témoigne du passage du feu et de la carbonisation, la trace de la force et de la chaleur.
Sculptures et peintures fortes sur leurs jambes, solides et décidées sont l’écho des corps en mouvements, luisant, brillant sous les lumières, du plateau du festival.
Peintures à l’huile et acrylique, donnent un écho gigantesque aux statuts à taille humaine.
Corps masculins, immenses et suspendus, donnent l’illusion d’un paysage lointain. Leur grandeur habite l’espace du hall, mais nous élève vers le haut.
Parfois fragiles, parfois solides, en fonction de la touche et du chromatisme, l’émotion naît de l’attitude et de la pose.
Fabienne Brioudes 2008
Regard sur Serge Boularot
C’est sous le signe du poème que pour la première fois j’ai rencontré Serge Boularot. II venait de réaliser toute une série de dessins à partir d’un choix de mes textes : ce geste me toucha, bien sûr, et davantage la complicité dont il témoignait. Le trait me convenait, aussi net que possible et ardent, qui n’encombre pas la feuille, qui respire parce qu’il permet autour de lui de respirer. Au Nord des souffles fut notre premier livre. Mais à bien d’autres poètes Serge a offert de telles images qui ont mieux à faire qu’à illustrer, elles s’accordent et elles prolongent : À l’instant du chant, l’oiseau… Les toiles de Serge alors (il y a dix ou douze ans) étaient volontiers exposées sous le titre de Territoires. Non pas des paysages, à proprement parler, tout de suite identifiables, mais des réseaux de strates ou de parcelles, ici épaisses, là déliées, qui semblaient apparaître de différentes hauteurs : en fait, ils émergeaient de la matière picturale comme de la mémoire rendue vivante. Pour Serge, quels que soient les moments que l’on peut introduire dans sa démarche, quelles que soient également les techniques dont sans cesse il explore les ressources - peintures à l’huile ou à l’acrylique, pastels, papiers déchirés et coloriés devenant des sculptures fragiles, céramiques récemment, l’acte doit être en permanence créateur. Serge ne décide pas à l’avance, il ne choisit pas ce qu’il est convenu d’appeler un sujet, toujours restrictif, il n’imite pas : il fait confiance. « Rien d’autre, dit-il, que l’épiphanie de l’œuvre. » Ou encore : «La peinture devient peu à peu le sujet d’elle-même. » Être fidèle au processus de création, ne rien lui ajouter qui serait de l’ordre du savoir, obéir à son exigence - en cela peintres et poètes se ressemblent-, ce n’est pas s’y enfermer ou s’y complaire. Pleinement visible, la surface, que les mouvements de la main ont si longtemps animée avec les couleurs (une seule parfois portée à la plus fascinante intensité), s’entrouvre. De cette façon seulement seront évoqués les sols, par exemple, les visages, les corps. Devons-nous les nommer ? Ils sont présents puisqu’ils n’en finissent pas de surgir, de dire leur origine.
Serge Boularot est le peintre de l’accueil et du secret
Pierre Dhainaut 2008
Le sens du Chaos
Serge Boularot est un coloriste. Il ne demande pas à la couleur de se soumettre à l’imitation des choses mais de traduire une émotion comme Rubens ou Van gogh qui disait : « Je veux, par le rouge et le vert, exprimer les terribles passions humaines.». Mais la couleur, pour le peintre, c’est aussi une matière dont il n’a pas à avoir honte. Elle s’exhibe ici en couches transparentes, très ténues, apaisante ou en relief épais, dur, puissant. L’outil n’a pas à se cacher. Le pinceau laisse la trace de ses poils qui démultiplient les effets plastiques. Il retient et révèle l’énergie déployée par l’artiste. Le geste pourra être selon les endroits et les oeuvres fulgurant ou appliqué. La peinture est un champ d’actions, de luttes entre tous les éléments convoqués les uns après les autres par l’artiste jusqu’à ce qu’ils trouvent un point d’équilibre entre leurs tensions. La peinture de Serge Boularot est constituée d’une multitude de signes, d’images abstraites qui s’offrent au regard, qui circulent sur la surface de ses toiles. De très près, immergé dans l’espace pictural, un film se déroule image après image pour que se constitue la figure qui émerge de ce chaos organisé. L’artiste a-t-il un jour cherché autre chose que de donner du sens au chaos ?
Alain Réveillon 1996
La chair n’est pas toujours rose
D’habitude, la chair humaine est plutôt rose. Et pourtant… Les enfants sont souvent perplexes devant leur boite de crayons. Rose pâle, rose vif, jaune ? Selon leur choix, l’individu devient asiatique, indien, ou bien pris de boisson, victime d’une émotion forte, d’une crise de foie ou hâlé par le soleil. Le pinceau de Serge Boularot bouscule les habitudes et nous fait voir des corps nus de toutes les couleurs. Un autoportrait du peintre, grandeur nature, dessiné au crayon sur papier blanc, accueille le visiteur. Un corps blanc, asexué et glabre, une simple forme, un mannequin. Seul le visage est détaillé, comme pour une photo d’identité judiciaire ou un portrait souvenir exécuté sur un lieu touristique. Reconnaissable, mais sans vie.
Tous les autres corps, une vingtaine, sont à l’opposé de cet autoportrait qui n’est là que pour rappeler ce à quoi nous sommes souvent réduits, le visage et son expression. Ailleurs, les traits du visage sont abolis, la tête seulement esquissée, en prolongement du cou, comme une excroissance échevelée. Les jambes, les pieds, les bras, les mains, le sexe masculin sont souvent tracés, de façon plutôt académique, anatomique, à la manière de la statuaire gréco- romaine. Les contours, les mouvements sont ébauchés. Pieds en apesanteur, corps sautant sont l’exception. L’homme est immobile, de face, livré à notre regard. La bataille se joue à l’intérieur de ces torses, de ces abdomens, de ces cous, de ces crânes. Une géographie des humeurs, émotions, sentiments et sensations se dessine à grands traits. Océans calmes et bleus, orages orangés, lumière douce, clairs-obscurs.
Sous la chair, à la place des entrailles et des viscères, la peinture crée d’étranges paysages sur- réels. La matière, épaisse ou fluide, posée sur la toile, peut évoquer des liquides ou substances internes, sang, sueur, moelle, graisse, sperme, larmes, lait. Les « vides » suggèrent le souffle. Le tout bat et palpite aux rythmes du coeur. Sous la carapace, la joie, la colère, l’amour, le chagrin, l’oubli. Certains y verront des bêtes plus que des hommes, Les « titans » géants sont-ils encore hurnains ? Donner à voir les forces obscures qui nous animent n’est pas le moindre mérite de ces peintures.
Catherine Quételard, La Voix du Nord, 23 mars 2002
Des “corps révélés” tels qu’en eux-mêmes
Les torses, les corps peints par Serge Boularot sont plus masculins, plus réels, à l’échelle humaine parfois. Après l’atelier 2, il expose ses derniers travaux à la galerie Kfé 37. L’atelier Wicar à Rome où l’artiste a séjourné six mois, a inspiré, nourri, influencé à bon escient Serge Boularot. Dans la ville éternelle, l’art omniprésent avec la statuaire antique, le Caravage l’ont poussé à s’exprimer avec plus de monumentalité. Mais, les corps d’hommes ne l’intéressent pas pour leur identité propre mais pour leur présence, non pas pour leur enveloppe charnelle mais pour leur essence, leur intériorité. En tout cas, les voici de nouveau réels dans leur chair s’imposant avec force, sans visage car ils pourraient, dit l’artiste, faire dériver, détourner l’attention de la puissance d’un corps qui se suffit à lui-même pour témoigner. Des corps archétypes avec une réelle matière mais aussi un psychisme, une âme. La couleur influencée par le ciel céruléen italien prend parfois dans ses huiles sur papier des couleurs séraphiques, bleu, rose, les colore encore d’ombre et de lumière. Outre ses Effigies, ses Thumos (l’esprit, la conscience selon Homère ) de format plus réduit expriment, là encore, le souffle qui anime le corps humain. On appréciera aussi le travail d’échange avec son ami sculpteur Pierre Charlon qui, lui, paradoxalement, a choisi le thème du visage…
Genevève Roussel, La Voix du Nord, 15 Novembre 2002
La couleur de l’émotion
Mardi après-midi. Serge Boularot arpente la vaste salle de l’espace Brel, au centre Staquet. […] Environ 200 œuvres sont accrochées, mêlant très petits et très grands formats, comme pour obliger le visiteur à bouger, à prendre du recul ou à entrer de plein corps dans ces peintures très charnelles qui parlent des émotions à travers la nudité et le morcellement du corps humain. Ce n’est d’ailleurs pas tant le corps qui nous parle que sa couleur. C’est elle qui nous dit si le personnage est heureux, mélancolique, épanoui mal dans sa peau. C’est elle aussi qui relie le personnage à son environnement, à l’univers qui compose sa vie. Les corps, qui semblent ne pas être finis, se perdent dans un flou coloré, se fondent dans leur décor, s’y rattachent de manière physique. Ils en deviennent indissociables, comme l’homme l’est de la nature quand il sait s’en souvenir.
Au delà de l’anatomie
Il semble que le peintre ait voulu aller plus loin que l’anatomie, qu’il ait voulu aller au cœur, prendre aux tripes, il représente d’ailleurs souvent des ventres, des torses, des sexes d’hommes ou de femmes. Peu de visages, ou alors si flous, comme pour nous obliger à oublier l’intellectualité des émotions au profit de leur dimension physique. Et c’est par la couleur que le peintre aborde cette gageure. Un orange vibrant évoque la passion, la fusion des corps. Des camaïeux de bleus parlent du monde du rêve, de l’esprit, de la mythologie. Des jaunes traduisent l’inquiétude. Des verts sombres nous approchent des abîmes dans lesquels nos émotions peuvent parfois plonger… La couleur nous parle des émotions, nous dit dans quelle partie du corps la vie circule, nous invite à nous pencher sur nos propres émotions, sur la façon dont elle s’inscrivent dans chaque partie de notre corps. Ce travail sur la couleur, sur ses reliefs, ses ombres, ses reflets prend toute son amplitude sur des grands formats, huiles ou acryliques, composés pour la plupart pour cette exposition : “Il y a ici à la fois des œuvres datant d’une dizaine d’années et des œuvres toutes fraîches, que j’ai réalisées cette année, voire ces dernières semaines, en sachant que j’allais exposer ici”, explique le peintre, également plasticien puisqu’il expose des céramiques et des porcelaines, toujours sur le thème du corps.
Corps en souffrance
Des corps souvent meurtris, inachevés, démembrés, fragmentés. Des corps qui évoquent la souffrance, la difficulté d’être relié à ses émotions, à sa vie intérieure dans le tumulte du quotidien. Serge Boularot la traduit très bien dans une série récente, réalisée dans son atelier tourquennois, une ancienne usine de peignage. C’est là qu’avec des panneaux recyclés, il a travaillé le corps entravé, le geste retenu par le quotidien, par la vie sociale qui nous lie et nous complique singulièrement la tâche quand il s’agit d’être connecté à soi-même. De cette exposition à Mouscron, Serge Boularot gardera sans doute l’heureux souvenir d’avoir tâté au grand format, “une expérience qui rejaillit sur les petits formats”, estime-t-il. Il aura été très présent dans le travail de la mise en scène des œuvres et s’enthousiasme avec bonheur de disposer d’une magnifique salle, vaste et ouverte à la création, pour faire découvrir son travail à ses voisins : “Car si je suis né à Paris, voici bien longtemps que j’habite Lille. Je donne des cours à l’école d’arts appliqués de Roubaix, aussi.” Bref, Mouscron accueille un ami.
Elisabeth Jamart, Temps Libre, Mouscron, 31 mars 2005